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Le Pont des amants de l'amant

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24 novembre 2016

La Poésie Ovoïde

Voilà bien longtemps que je n'ai pas ajouté d'article !

Et je me rends compte que le mois prochain cela fera 10 ans (déjà !) que j'ai créé ce blog pour rendre hommage à l'oeuvre du "Never Satisfied Man".

Durant toutes ces années, j'ai  tenté de rendre compte des nombreuses manifestations de la créativité Bannienne.

Mais pour être parfaitement honnête, j'avoue m'être parfois senti seul et limité dans ma démarche :

D'abord parce que les ressources concernant Yaruch Bann sont extrêmement rares et difficiles à trouver. D'autre part en raison du faible nombre d'initiés partageant ma fascination pour l'enfant prodige d'Arcachon, et étant en mesure d'élargir l'horizon de mon savoir en la matière...

Mais je m'égare.

Il y a peu, en déménageant des affaires, j'ai retrouvé de vieilles photocopies d'une lettre relatant une séance de lecture poétique qui avait eue lieu le 21 août 1951 sur la plage Pereire d'Arcachon, face à la magnifique Villa Hyowawa (pour ceux qui s'en souviennent).

Une estrade avait été installée pour l'occasion, et tout le milieu intellectuel et artistique Arcachonnais s'était réuni pour l'occasion, sans parler des badauds et autres baigneurs intrigués.

C'est là que Bann, âgé de 32 ans et quelques, avait de nouveau créé la polémique en dévoilant sa "Poésie Ovoïde". Je reviendrai plus bas sur l'explication derrière cette appellation pour le moins déconcertante, mais d'abord je ne résiste pas au plaisir de vous faire lire l'objet de la discorde, le fameux poème qui fit dégénérer la séance de lecture en pugilat :

 

"Heures, eux qui comme mus, lisses, ah ! Fêtes, hein ! Beauvois, y 'a "je".

Houx Côme, meus ! Cesses-tu ? Il acquit ! Con qui la toise. On !

Haie, puits. Erre, tour née. Plain dût sa "je" ! Et raies sont.

 Vis, veux, rentre. Sais pas. Rend le reste. Deux sont "nage".

 Camp revers, hait "je". Et lace deux monts, peut-y vis l'âge.

 Fume mais lâche ! Oeufs minés. Est "Hank Hell", seize ont !

 Revers est jeu. Luck Low. Deux mâts. Peau veut heureux. Mais z'ont.

 Kim est thune. Peur au vingt, ses beaux coups. Dave en Taj.

 Peu lu meut plaie. Leucé, jour ! Combattit mes ails, eux !

 Queue des pâles, eh ! Rot, mains, l'oeuf rompt aux DDASS, yeux !

 Plût queues ! L'homme-arbre du rhum, oeufs-plaie lard doigts-oeufs. Fît noeud !

 Plumons ! Loue art. Go, l'oie ! Queue leu, 'Ti brêlât teint !

 Plumons ! Peut-y lire, eh ? Queue leu, mon pâle Latin !

 Est plus claire, marre hein ! Là, doux le Sir ! Enjeu vit-noeud."

 

D'après le récit qu'en fit Georges Frank de Cuzey (ou "F2C" comme certains aiment à l'appeler), auteur de la lettre, artiste inventeur du Piano à Dessiner (ou Piadess), anticonformiste autoproclamé et ami de Bann qui était présent ce jour là :

"Là, je peux te dire, tout le monde était sur le cul et on entendait les mouches péter ! Et puis des cris se sont élevés à gauche de l'estrade. C'était un vieux con qui criait au scandale et à l'imposture ! D'un coup, d'autres se lèvent pour protester, et puis d'autres se lèvent pour protester contre ceux qui se sont levés pour protester, et hop ! Les coups se mettent à pleuvoir dans tous les sens ! Mais le plus drôle dans tout ça, c'est ce con de Bann ! Je me tourne vers l'estrade, et je le vois, imperturbable, qui se râcle la gorge et qui poursuit avec son poème suivant :

"Elle dédie ce "Cha Dô"

J'oeufs-suie, le thé né hébreux, l'E veut F, lins qu'ont saulaie.

Lèpre-pince d'A qui t'N ! Allah ! Tout raboli ?!

Masse seule, et toi. Les mortes. Aimons lutte, con ! Stèle est.

Porc Teu Leu, Sceau l'Oeil noua, Rheu de l'âme-élan. Colis."

Et là ( je me fous pas de toi !), il avait à peine prononcé la dernière syllabe qu'un transat lui vole en pleine face ! Je le vois qui s'écroule et je m'apprête à aller lui porter secours quand d'un coup il se redresse sur ses deux pattes, prend de l'élan et saute dans la mêlée en hurlant 'J'oeufs-suie !! J'oeufs-suie !!" tout en faisant des moulinets avec ses bras ! Le con ! J'ai bien failli me faire dans mon froc tellement je riais, moi ! Je me suis dit "Aaaaaaah, que voulez vous ! Il changera jamais !". D'ailleurs c'est pas fini il faut que je te raconte : dans la cohue j'ai vu une jolie pépée toute apeurée, alors je suis allé la tirer de là et je lui ai proposé d'aller faire un tour derrière les dunes en me disant "Aaaaaaaaah que c'est bon !" "

Je pense qu'il n'est pas nécessaire de retranscrire l'intégralité de l'extrait, puisque la suite de la lettre relate avec moult détails et dans un langage peu châtié ce qui appartient à la sphère intime de "F2C" (que je ne remercierai jamais assez d'avoir accepté de partager ce document précieux et personnel avec moi et que je salue bien cordialement si d'aventure il me lit !).

Suite à cette polémique, Bann publia la même année son recueil "Poésie Ovoïde". Je n'ai jamais réussi à mettre la main dessus, mais j'avais retrouvé une partie de la table des matières où figurait notamment son fameux "triptyque ovoïde" "L'oeuf pond mille rabots", "L'oeuf bat tôt, Yves !", "L'oeuf dort. Meurs, Duval !", ainsi que "Mon Ray veut femme, il y est", "Se plie noeud : j'essuie comme l'heure, Oie-daim. Paix, y plus vit oeufs", "La scie-galet la fourre, Mi", ou encore "Deux mains, des lobes".

Vous l'aurez compris, le coeur du débat qui anima les cercles intellectuels Arcachonnais était bien entendu la question du plagiat. On accusa Bann de piller honteusement les plus grands poètes, ce dont il se défendit dans une tribune libre intitulée "Si plage il y a", semi manifeste de la poésie Ovoïde où il écrivit :

"La poésie hésite, la peau est si haie, cite ! La poésie est oeuf, la peau est si étoffe !

Voilà notre dogme, voilà ce que nous croyons ! Nous considérons la poésie comme un oeuf, dont la coquille fragirigide de la forme ne fait qu'emprisonner la moelleuse substance poétique ! Et cet oeuf-ternellement infécondé n'a de cesse de pourrir de l'intérieur depuis des siècles que nous nous complaisons à le laisser religieusement au fond du panier ! 

Nous affirmons qu'il faut en percer la coquille d'un petit trou, en vider le contenu dans les toilettes - c'est moi où ça sent le pet ?! - et puis la remplir d'une nouvelle substance moelleuse, que cette fois nous féconderons ! Alors, nous vivrons un nouvel âge poétique, que nous appellerons Gallinacé !"

 

Bann ne publia pas d'autres recueil de poésie Ovoïde - du moins pas à ma connaissance - et il faut sans doute y voir un élan de jeunesse, mais je suis heureux d'être retombé dessus pour le partager avec vous !

 

 

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3 avril 2014

Miles E. Rosen

Au début des années 70, peu de temps après l'échec critique de son Dieupère, Yaruch Bann semble se passionner pour un obscur poète new-yorkais, Miles E. Rosen, auteur entre autres du recueil Exhaustible, and then sand, dont la renommée ne semble pas dépasser quelques cercles très fermés de poètes beat. Bann, à cette époque, n'a que la poésie de Rosen à la bouche, au point d'en épuiser son entourage. Dans un entretien extrait du fascinant Fanns: les proches de Yaruch Bann témouann (paru récemment et à tirage confidentiel aux éditions Bonjour Triskell, et dont je vous reparlerai très prochainement), Edmond Pénélope réagit vivement à la mention de ce poète:

"Miles E. Rosen? Miles E. Rosen? Écoutez, j'ai horreur de la vulgarité, et suite à un fameux pari avec Bann en 1976, j'ai perdu le droit de comparer les parties génitales à des fruits, donc  je vais vous dire: à l'époque, Yaruch Bann nous cassait les couilles avec Miles E. Rosen! Ce petit salaud a même réussi à faire appeler un de mes gamins comme ça. Il faut bien le lui concéder: il avait un avocat vraiment balèze."

Pour autant, si Miles E. Rosen finit par exaspérer des proches comme Pénélope ou Jacques Erribinoun ("Il était vraiment monobanniaque", dira ce dernier), le poète jouit d'un intérêt grandissant parmi les admirateurs de Bann. Dans ce cercle, le poème suivant deviendra un mantra des années 70:

"I put the thousand year-old nerves
Shares of glass before me
(To develop vows: the Operation "Portions")
The holders kill the air there for you
This is the "Temporary Mother" effect"

C'est ainsi, tout naturellement, qu'on le presse de réaliser la première traduction en français de l'oeuvre phare de Rosen. Bann, bien sûr, n'attendait que ça.
Les connaisseurs parmi vous auront probablement déjà compris que Miles E. Rosen est l'un des nombreux pseudonymes de Yaruch Bann lui-même, et se demandent sûrement en quoi consiste la seconde partie de son plan. La voici.

"Tu vas voir, dira Bann dans une lettre à Edmond Pénélope (retournée avec la mention "inconnu à cette adresse"), je tiens enfin une vengeance contre mon salaud d'éditeur qui me rebat les oreilles depuis des années avec le fiasco du Dieupère. Il en veut, de la traduction bourgeoise, franco-centrée? Il en aura! Et il se mordra les doigts d'avoir publié ces âneries en connaissance de cause. Le texte final sera truffé de redondances et de répétitions de syllabes, un truc lamentable."

En effet, voici ce que donne la traduction (classique si on l'oppose au littéral du Dieupère), du poème ci-dessus:

«J'ai mis les nerfs millénaires
Parts de verre par-devers
(Développer des voeux: l'opération Rations)
Les titulaires t'y tuent l'air
C'est l'effet "mère éphémère"»

A dire à l'oral pour en saisir la redondance. Car tous les poèmes de Rosen sont écrits de sorte à ce qu'une fois traduits et prononcés à voix haute, le style mystique et hallucinatoire du texte original prenne la sonorité d'une farce. Le titre même, extrait du court poème suivant:

"Yes, yes: the Sicilian hyena
Exhaustible, and then sand"

Donne en français:

«Si, si: l'hyène sicilienne
Épuisable et puis sable»

Et Bann ne se cantonne pas aux répétitions. Le vers:

"Some Saint-John (a low quest) fly, Daisy, yes they do!"

Devient, une fois traduit et prononcé tout haut, l'absurde et régressif:

«Des Saint-Jean (basse quête) volent, Daisy, si!»

Que je ne prendrai pas la peine d'expliciter. Très fier de son canular, Bann finira par déchanter: tout d'abord, cette traduction reste à ce jour l'un de ses livres les plus vendus; ensuite, ce qui devait être un texte fatigant, imprononçable sans en brouiller le sens, devient aux yeux de la critique un des rares exemples de littérature révélée par sa traduction. Bann, qui avait admis être Rosen dès la parution du texte français, reprendra finalement cette vision à son compte, et niera toute sa vie l'intention de canular qu'il annonçait dans sa lettre à Pénélope.

"Cette rumeur est fausse, dira-t-il en 1999. Ce serait bien mal me connaître que d'y croire. Comme je le dis toujours: "Les moyens méchants, ça signifie de méchantes fins."  Quoique ça passe mieux en anglais."

10 octobre 2013

Le Dieupère

En 1969, l’Amérique découvre un roman policier qui deviendra rapidement légendaire suite à son adaptation cinématographique en 1972 par F.F. Coppola : il s’agit de The Godfather de Mario Puzo, ou Le Parrain dans la traduction française de Jean Perrier.

Yaruch Bann dévore cette dernière et se prend de passion pour la destinée des Corleone. Mais rapidement, il décide de se procurer la version originale, car il lui semble que « quelque chose de fondamental, l’essence même du bouquin se perd dans cette tentative de transposition dans la langue de Chapelain. »

La lecture de Puzo dans le texte est alors un électrochoc pour Bann : il lui semble qu’en fait, la traduction a vidé entièrement le livre de tout son lyrisme pour ne s’en tenir qu’à un triste compte-rendu des faits. Il ne lui en faut pas plus pour se lancer dans une nouvelle traduction du célèbre roman mafieux, ainsi qu’il le relate dans son journal en novembre 1969 :

  « Oh ! Traduction, infâme trahison ! Traduction, piège à cons ! Tu as sucé toute la substantifique moelle de la langue de Jonson pour conchier un vague récit criminel dénué de toute sa poésie originale ! Et maintenant tu entends tromper la nation entière en allant jusqu’à souiller le nom de l’œuvre ?! Non mais expliquez-moi quel est le foutu rapport entre ‘Le Parrain’ et ‘The Godfather’ ?? On a tous un parrain, le mien s’appelle Michel, mais de ‘Dieupère’, il n’y en a qu’un ! Il faut être un esprit tordu pour vouloir duper ses pauvres compatriotes qui n’ont pas la chance de parler anglais ! Je me dois d’entreprendre une nouvelle traduction du Dieupère au plus vite. »

  En à peine dix jours, Bann achève une traduction « sans tractations » qu’il entend imposer face à l’autre version. Inutile de le préciser, ses efforts resteront vains et il n’obtiendra jamais gain de cause, se voyant même menacé de poursuites s’il tentait de publier son Dieupère sans en avoir obtenu les droits du roman. Cependant, des copies de sa version circulent dans le milieu intellectuel Arcachonnais, créant rapidement une polémique (dans laquelle, on le sait, le Never Satisfied Man s’épanouissait le plus, les qualifiant de « petites victoires putrides ») : certains y voient le génie bannien à l’état pur, d’autres s’insurgent face à la facilité de l’entreprise et lui reprochent une traduction ‘littéralement littérale’, la plupart reconnaissent ne pas avoir compris grand-chose à l’histoire. Un noyau de détracteurs qualifie Bann d’ « Illettré littéral. »

Bann rebondit alors en arguant que l’histoire importe peu, et que c’est la langue qui compte avant tout : « Toute traduction doit être littérale. Si on prend le cas de l’anglais, bon, on sait tous que c’est une langue plus basse que le français. Mais ce que personne ne sait, c’est que c’est de la bassesse que nait la plus haute poésie ! Alors toutes ces traductions qui se prétendent fidèles ne sont qu’un vaste tissu de taureaumerde ! » 

Et le Never Satisfied Man n’en reste pas là : il publie rapidement son « Manifeste pour un Littéral Anglicisme », qui s’apparente davantage à une méthode linguistique dans laquelle il entend déployer sa propre méthode de traduction. J’ai relevé quelques-unes des propositions les plus amusantes, les plus juteuses étant bien entendu les grossièretés : Breakfast : Casserapide ; Background : Arrièreterre ; Shotgun : Coupflingue ; Fuck: Baise ; What the fuck : Quoi la baise ; Motherfucker : Mèrebaiseur. 

Pour finir, je vous ai également sélectionné un passage du fameux Dieupère, dont j’ai récemment retrouvé un exemplaire sur lequel j’avais réussi à mettre la main. Il s’agit de la fameuse scène où Sonny Corleone, fou de rage après avoir appris que son beau-frère avait une nouvelle fois battu sa sœur, tombe dans une embuscade qui lui coûte la vie :

 « Il accroché haut le téléphone. Il se leva là pour un moment tout à fait étourdi avec sa propre rage ; puis il dit, « Le baisant fils d’une chienne, le baisant fils d’une chienne. » Il courut dehors de la maison […] Par le temps Sonny rugit dehors de la rue piétonne dans sa Buick, il avait déjà reconquis partie ses sens. Il a noté les deux corps-gardes obtenant dedans une voiture pour suivre lui et approuvé. Il attendu non danger, les Cinq Familles avaient quitté contre-attaquant, n’étaient pas réellement bagarrant quelconque plus […] Comme un garçon, il avait été sincèrement tendrecœuré. Cela il avait devenir un assassin comme un homme était simplement sa destinée […] La motif-manière était malement allumée, là n’était pas une célibataire voiture. Loin unetête il scie le blanc cône de l’ouverte péage-cabine […] Sonny klaxonné sa corne  et l’autre voiture docilement roulée à travers a laissé  sa voiture glisser dedans la fente. Sonny mainé le péage preneur le dollar facture et attendu  pour son change […] À ça moment Sonny remarqué ça l’autre voiture n’avait pas maintenu allant mais avait parcqué dans devant et marché à l’égard de lui. Et puis  dans la fraction d’une seconde avant rien en fait arrivé, Santino Corleone s’informait il était un mort homme […] L’homme dans la sombrée péage-cabine ouverte feu et les coups attrapés  Sonny Corleone à l’intérieur de la tête et cou comme sa massive cadre renversée dehors de la voiture. Les deux hommes dans façade tenue haut leurs armes maintenant, l’homme dans la sombrée péage-cabine coupé son feu, et le corps de Sony étalé dessus l’asphalte avec les jambes tranquilles parties dedans. » 

Les fervents défenseurs du Dieupère se sont souvent référés à ce passage en mettant en avant la sensibilité poétique avec laquelle cette scène d’une rare violence est transposée par Bann. Beaucoup y ont vu une forme de « bienséance lyrique » presque compulsive, qui oppose à la violence générale du livre une alternative poétique où les mots voilent leur propre sens prosaïque et s’extraient de leur propre signification, pour atteindre une forme de pureté sensiblement lyrique.

Malheureusement, Bann ne poussa pas au-delà son expérience de traducteur, et nombreux sont ceux qui regrettent (moi le premier !) de n’avoir eu la chance de lire ce qu’aurait donné une traduction bannienne des plus grandes œuvres de la littérature anglophone.

11 mai 2013

Out Of the Box

Lorsque l'on connait l'effarante productivité de Yaruch Bann, l'idée qu'il cesse d'écrire sans y être invité par la mort peut surprendre, voire choquer.  Le stéréotype de l'auteur qui "a déjà tout dit" n'en console même pas: il faudrait que Bann crée toujours, quel que soit son art, quitte à tirer sur la corde, à préférer la médiocrité au silence -il l'a déjà fait, diront les mauvaises langues.

Pourtant, au début des années 2000, Yaruch Bann annonce très explicitement qu'il n'écrira plus, ne dessinera plus, ne composera "plus rien qui soit joli ou joliment moche". En résumé, il veut cesser d'être un artiste.

"Au bout d'un moment, confiera-t-il au magazine Regards-Cachon, tu finis par en avoir ras le bonnet de tout ça: je veux dire, tu te saignes à blanc, tu passes des jours entiers à plancher sur un poème où tu fais rimer "mignonnette" avec "zigounette", et résultat, ton effort est lu par quatre clampins dans le monde entier, dont un seul l'a compris, et une fois sur deux c'est un Québécois qui viendra te raconter n'importe quoi aux séances de dédicaces. Et puis faut être franc, qui est-ce que ça intéresse encore, la littérature? C'était bien, c'était formidable, même, mais aujourd'hui le monde c'est plus ça, et je vais même vous dire une bonne chose: continuer d'en faire, de la littérature, eh ben c'est réactionnaire. Parfaitement. Alors moi, maintenant, c'est fini.

(...)

Non, si tu veux, aujourd'hui, être un artiste, créer quelque chose de ses propres mains, c'est monter un business. Tu vois ce que je veux dire, creuser son petit trou, trouver sa place, et en prenant des risques, j'entends. Dénicher le principe pas trop con, faire croire que c'est nouveau, ça c'est de l'invention, ça c'est fonder quelque chose qui se répercute dans la conscience des gens, et dans le réel. Moi c'est ces gars-là qui me font vibrer le matin."

Cet entretien, qui scandalisera la critique comme le public (encore sous le coup de l'incompréhensible roman Je noix de coco Jérôme, qui commence comme un roman d'espionnage où tous les protagonistes sont dissimulés dans une corbeille de muffins pendant la conférence de Yalta, devient un récit en vers libres où un narrateur qui se fait appeler "le Chevalier Séoul" dresse un bilan amer de la pratique actuelle de l'aikido, puis revient aux espions de la première partie, cette fois devenus quadragénaires et s'essayant à des méthodes diverses pour perdre du poids dans une grande plaine magique, avant de conclure sur une douce pastorale entre le Chevalier Séoul (qui n'est autre que l'un des espions), redevenu adolescent et flirtant avec une jeune bergère du nom de Lucie Sémiotique et qui est en même temps la réincarnation de toutes les femmes décapitées au long de l'Histoire), sera suivi d'un texte pour le moins troublant. Yaruch Bann y explique son nouveau projet: fonder une chaîne de tatous à emporter.

"Le tatou, explique-t-il, est l'un des rares animaux qui soient leurs propres emballages. Il s'agit tout bêtement de le cuisiner dans sa carapace -quelque chose de tout bête, on élague, on sélectionne, histoire de ne garder que la chair et le gras, et on ajoute la sauce choisie par le client-, puis de la refermer, et ça donne cette petite sphère étanche, ludique. On a envie de la toucher, de la faire glisser entre ses doigts; on est même tenté de se la lancer joyeusement d'un bout à l'autre du réfectoire de l'entreprise, et alors tout le monde participe, les équipes se forment, le match est lancé, on pelote au passage la petite blonde du quatrième, et enfin on ouvre la carapace pour déguster le tatou en se félicitant d'avoir revigoré encore l'esprit d'équipe de la boîte. Tout le monde y gagne.

Si ça marche bien, j'envisage même, pour les plus aventureux, de proposer quelques pangolins. J'appellerai ça le "Menu Borderline". Le principe reste le même, quoique la carapace soit plus anguleuse, moins amicale, mais tout de même, lorsqu'il se rétracte, le pangolin laisse dépasser sa queue, le client peut la saisir et transporter son repas. Et le côté ludique n'en pâtit pas. Tenez, quand j'étais instituteur au Cambodge, j'organisais des combats au pangolin refermé. On saisit la bête par la queue et on essaie d'assommer l'adversaire avec le reste du corps. Rigolez pas, c'était en passe de devenir un véritable art martial, homologué et tout, mais vous savez ce que c'est, la politique, les lobbys... Les gamins adoraient ça, en tout cas. En même temps, qu'est-ce qu'on y connait quand on a six ans?

Le nom de la chaîne? OOB. Pour "Out Of the Box". Tout est là. Non, non, vraiment, tout est là."

Bien sûr, Bann peine à trouver des investisseurs. On lui rétorque qu'avec le coût de l'importation du tatou, le prix du repas sera en totale contradiction avec le principe de restauration rapide, que les Français ne sont pas prêts à manger de telles bêtes, et enfin que les associations de défense des animaux auront forcément le dernier mot.

Yaruch Bann se lance alors dans une fastidieuse campagne de communication pour faire entrer le tatou dans les habitudes de consommation françaises, à grands renforts de spots publicitaires -régionaux. Mais vanter radiophoniquement les bienfaits de la viande de tatou sur la ligne des femmes et la puissance sexuelle des hommes s'avère inefficace, alors il s'en remet à ce qu'il connait le mieux: la littérature. Il écrit d'abord de nombreux poèmes courts, très bêtement publicitaires, quoiqu'on y décèle encore le style unique de Bann:


Un tatou dans la bouche

Forme les grands destins

Qu'aurait été Plotin

Sans ce recul farouche

Sa bête réticence

A gober du tatou?

Ah! En tout et pour tout:

Platon et Mendès-France

Oui, enfin réunis!

Mais non, Plotin fut pleutre

Et l'on écrit au feutre

Son prénom tout petit

 

Puis des nouvelles, toutes mettant en scène des personnages oisifs et brillants aux journées rythmées par la consommation de tatous dans la campagne russe. Ses histoires plus tardives, moins sereines, montreront ces mêmes personnages en pénurie de viande de tatou, parfois désespérés, tournés tout entiers, et l'intrigue avec eux, vers l'acquisition à tout prix d'un peu de cet animal à carapace, jusqu'à la résolution finale durant laquelle ils atteignent une extase dont la mystique reste encore aujourd'hui incompréhensible stylistiquement.

Ces nouvelles, réunies sous le titre Les Tatous publics, seront suivies d'un immense roman, Le Chant d'Amour et du cygne, prévu comme un implacable panégyrique de la viande de tatou en cinq tomes, à ceci près qu'emporté par son intrigue, Bann oubliera tout bonnement de parler de l'animal.

"Un oubli bête, dira-t-il. Je savais bien que j'aurais dû caser les tatous dès le premier chapitre, mais non, j'ai voulu retarder, faire monter la sauce, et résultat, pas une trace de viande de tatou dans ces foutues mille cinq cent pages. Un Québécois m'a même dit, à une séance de dédicace, qu'on pouvait interpréter le roman comme une critique de la viande de tatou. Enfin, c'est ce que j'ai compris."

Pourtant, malgré cet oubli et un faible succès commercial, Le Chant d'Amour et du cygne est aujourd'hui considéré comme l'une des plus belles pièces romanesques de l'oeuvre de Yaruch Bann, décrite par Edmond Pénélope comme "l'équivalent littéraire d'un excellent concours de beatbox clandestin où la bière n'est vraiment, vraiment pas chère".

Quoiqu'il en soit, devant son échec à faire accepter la viande de tatou à l'opinion publique, Yaruch Bann abandonne le projet OOB, et se remet péniblement à la littérature. Il affirmera peu de temps après: "La conjoncture économique a empêché ma métamorphose."

Et pourtant, pourtant, ce magnifique Chant d'Amour et du cygne...

14 octobre 2012

Le haïkours - 4

Quelques haïkours encore (tirés bien sûr du fameux Quarante-huit haïkours à lire l'air de rien).

 

Tourisme tribal
J’envie et crois tes Talmuds
Ton poème à mots criés
-Papiers-
Veux-tu violer des orbes mous ?
Prendre Aphrodite entre deux jambes ?
Cochon de soie !
Johnny Cash en fuite
Pour trois mois
Court
Rejoins-le céans mon fils !
Et sois plus prophétique
Je suis d’or et d’Afrique
J’ai pointé mon miracle à l’aune de ces criques
J’ai vidé ma vaticanette
Ah que craint Sarah ?
Nous avions avions
Et trains d’enfer tiède
i Dios mio !
C’est au carrefour paradisiaque que s’égrènent à jamais les moutons virils
Le pain d’habitude
Les mille wagons sidérés
Acid house et open bars, hôpital
Tout ! mais tout se perd ! ah madame il n’y a plus !
Saligauds divers qui progressent peu
Pour parader au jour des jolies
Qu’ils attirent à coup de barbes
Et puis d’envers du décor !
Je marche sévère
Métallisé, fou
J’occupe des maisons plus foutues que vos billes, j’apprends des chansons solides, des vers sympas, le roi critique trop
C’est au pré que se trouve le bonheur des gens
Et dans l’air que coule le mien
Œuf de coq ? Pou de chauve ? Je suis mieux !
Mille neuf cent trente-et
-un  -en automne- a tout vu
Alors, Talmud ?
Tu veux des papillons cendrés ?
Des anémones bien cadrées ?
De la flanelle magnifique ?
Ça existe rarement
C’est un cancer d’or
 
Mais vois-moi dans ce grand bal
Tout nu à Stockholm
Des princesses
En maisons se redressent
Et font tomber le monde
Mais dans la contrebonde
 
 
 ***
 
La voile enroulée
Réveille et réduit les âmes
Se confard dans le brouillon
Un souillon
Pend sa maîtresse et prend des notes
Et moi je suis au Maryland
En poils de chats
A filer Carlos
En chapeau
Mou
Ne te tourne pas si vite !
Je file et la pluie moite
Endigue mes erreurs
J’ai trois cents inconsciences planquées dans la boîte
Je surcomprends les hâttitudes
Je crains la grand-plage
Et j’ai faim j’ai faim
D’ardoise et de passion pour la rime
Tsingtao
De petit déjeuner livide et plein de bombes
Les généreux ploucs
Planqués trop fiers dans neuf abîmes
Sont trop post-punk pour mes identités
Un soir les idéaux s’en vont pour de vrai
Et l’on crie « ah putain ! c’était pas mal ! »
Oui, d’en avoir, c’était d’or, l’idée
Bien au chaud, chue dans un babouin
Zarma ! que vos jours sont chouettes
Ils ne rampent plus
Dans des savons chauds
Tu laves des aïeux qui gobent l’alizé, promets à qui mieux pire la santé des chouettes, et vends du trop-fait
Et tu te sens paumée comme un rhum arrangé
Une vodka de feu poussée
Au centre de Vénus, de l’Univers
Pluton planète dort
L’été en balançoire
Sur un croissant
Symbole de flèche et d’obsèques
La fumée grave des mots secs
Sur un chanvre babylonien
Et joliment l’habitat
De la grippe brûle
 
Ou bien je suis Madison
Et gigue et Boston
C’est un fait
Ma maison vous suit
A l’orbe de ces princes
Qui pilleront vos rêves
 
 
 

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14 octobre 2012

Le haïkours - 3

Voici deux autres haïkours, ceux-là d'un ton différent de ce que j'ai pu poster précédemment. On y voit en effet, et plus particulièrement dans le second, une structure, une ligne de sens, se dessiner plus évidemment. Signe de maturité? Ils se trouvent sur la fin du recueil Quarante-huit haïkours à lire l'air de rien, mais rien n'indique que l'ouvrage montre les poèmes dans leur ordre de composition.

 

 

Planant RER
Je saute de toi et glisse
Au trium virat des gnous
Les lions n’ont pas de genoux
Et me voici au clan des cons
Et Public Image Limited
Trotte souvent
Dedans Yaruch Bann
Et c’est l’heure
Gnou !
Sois lucide et fais du gringue
Aux collines-cylindres
De tek et d’abricot
Qu’enfin jusqu’à noël on verra toujours geindre
La principutassière ailée
Me fait peur de loin
Le clou de mon clou
C’est de marteler les Marilou
En Chrysler
Pour faire le tour de la question et du pâté de maison
Pour la satiété
Et les cent-trente sociétés
Dont la SACEM fait partie malgré tout
Mais l’argent ne fait pas le bonheur des gnous
Et encore moins de ces gnous-putes
A qui je dirais « sortez de là »
Si elles se cachaient dans l’ours
Qui est chez moi pour de bon !
Elles marcheraient
Bien loin de mes quartiers où flottent la fourrure et l’odeur du tabac à éternuer des chats pour les apéritifs
Ces gnous-là ne sauraient soutenir ma colère
Ni contenir mon eau sacrée
En piscine couverte à ciel ouvert
Oh mater Twin Peaks
Quand viennent les hivers
C’est votre croix
A vous les gnous de pacotille
Aux yeux noirs comme les résilles
Et aux veines de taffetas
Vous me plaisez doucement
Chtouilles virginales

Et c’est plein de radical
Que Yaruch Bann aime
Vos destins
En maisons de joie
Où persistent vos courbes
Oui, en maison de joie

(note: on remarque, au début du poème, une faute de métrique: au quatrième vers, qui devrait compter trois pieds, Bann écrit "Les lions n'ont pas de genoux", soit sept pieds.)

***


Savez-vous conduire
Le train, siffler, éternuer
En changeant de voix, mourir
Sans fou rire ?
Et si oui savez-vous sortir
Avec Shirley MacLaine et Pif
Le chien-gadget
Sans parler de moi
Tout le temps ?
Oui ?
Non, soyez francs : savez-vous
Vous regarder les pieds
En pensant à du zinc
Et hurler « garde à vous » dans un champ de papier ?
Savez-vous plastifuriber ?
Craindre les facteurs
Et les gnous ? LES GNOUS ?
Savez-vous pendre les horlogers ?
Assassins !
Si vous êtes si malins savez-vous
Manger le destin ?
Vous préparer huit flans d’un coup ?
Faire de la folk quand le ciel est mou ?
Pisser dans un violon pour jouer du Mozart ?
Savez-vous dire « bordel », « satin », « « chat »
La bouche pleine sans pouffer ? Hein ? Dites !
Et mâcher des furets, aussi ?
Mais vous savez donc tout faire !
Vous savez noyer ?
Roter du cristal ?
Plier Margot, souffler Jeanine, parler de plombs dentaires pendant une heure à Christinette, boire un rossignol ?
Parler d’amour ? Oui, forcément. Crier d’amour ?
Reboulonner d’amour ? Sous l’eau ?
L’air, la glace ? Et sous les brontosaures ?
Cacher l’ère Meiji
Au grand bal du printemps ?
Boucher des Christs ?
Savez-vous bailler les corneilles ?
Savez-vous raser les soleils ?
Critiquer la soie en joggant ?
Ah mais vraiment ! mais vraiment !

Et savez-vous dire Bann ?
C’est ça, Yaruch Bann
C’est très bien
A la maison oui
Depuis le téléphone
Sans payer la facture

 

Par ailleurs, je vous renvoie, toujours sur le même sujet, aux commentaires de l'article précédent: un lecteur chanceux (ou un dindon de la farce, ou un faussaire habile), y relate une découverte qui ne manquera pas de faire rêver les mordus du haïkours (ce n'est pas une façon de parler: l'association Les Mordus du Haïkours, aujourd'hui sans président, ni trésorier, ni membres, puisque Bann tenait chacun de ces rôles, existe encore bel et bien puisqu'il n'en a jamais prononcé la dissolution [il occupait également le poste de Grand Clameur de l'Apocalypse du Haïkours, sans le mot de qui l'association durera éternellement]). Dans l'attente de vous relire, monsieur Rostpov.

 

12 mai 2012

Le haïkours - 2

Dans l'article précédent j'ai parlé du haïkours, poème à forme fixe dont chaque vers obéit à une contrainte métrique, sémantique et/ou stylistique différente. Voici un autre poème extrait du recueil Quarante-huit haïkours à lire l'air de rien:

 

 

De l’hôtel fini
J’ai vu le groom mort qui coule
Sur les coins de tout écran
Suis à cran
Avec la violence des veaux
Et les séismes de Kyushu
Pleins de renards
A la Patti Smith.
Horloge-eau !
Bouh !
Ne coule plus vilaine atroce !
Ecarte la mission
Sois chrome contre l’heure
Je veux porter ma montre sans faire attention.
Là-bas dans l’hôt-aile on m’attend
Et même on me craint
Trois fois à la fois
On maudit la menthe et puis la mort
La mort cute
Celle où le temps nous ignore.
Ton hypocrisie
A sept fois mangé mon quatre heures
En jouant l’air de rien de preux chevaux-bémols
Mais en fait tout est compliqué mon amour
Ou bien devrais-je dire ma connasse
Si l’on me permet de pinailler.
Comme un tapir au petit jour
Fourmille d’idées marquantes
Je finis tombé
Sous le fer du rien
Ça m’alourdit de chapelets intenses, je glisse dans la marée de toutes choses, je suis envahi de souvenirs de toi
J’ai toujours regretté le fond de ta pensée
Où l’air se mure et tourne en rond
Je suis Nobel excommuniant les maths
Un piteux dinosaure
Un printemps sans aurores.
A l’apéro
Les jours se suivent, grands stalkers
Les nuits s’en vont, oiseaux moqueurs
Elles s’en vont, grands lacs de tweed.
Doucement la pyramide
Grippe les momies
 
Et où vas-tu toi mes mains ?
Mon couteau Bowie
Mon chagrin
Ta maison m’a dit
De toujours voir tes yeux
Dans la fausse monnaie

 

 

23 octobre 2011

Le haïkours - 1

"Pourquoi j'ai appelé ça le haïkours? Eh bien, vous avez déjà vu un ours? C'est très grand."

J'ai déjà parlé de l'intérêt -maladif, diront les femmes de sa vie- de Yaruch Bann pour les poèmes japonais à forme fixe, et plus particulièrement le haïku auquel il s'essaiera tout au long de sa vie. J'ai également mentionné le sixiku, création bannienne à partir de ce même haïku qu'il allonge et crible d'encore quelques contraintes thématiques et formelles. En voici maintenant la forme poussée à l'extrême: le haïkours.
Quand le haïku occidentalisé compte trois vers et le sixiku six, le haïkours, lui, en compte quarante-huit. Chacun de ces vers a un nombre fixe de pieds, et une contrainte stylistique ou sémantique. En voici le squelette tel qu'il apparait en introduction de Quarante-huit haïkours à lire l'air de rien, le seul recueil de haïkours écrit par Bann:

5 pieds: évocation du voyage
7 pieds: deux verbes
7 pieds: rime avec le vers suivant
3 pieds: rime avec le vers précédent
8 pieds: deux noms ou verbes ou adjectifs commencent par la même lettre
8 pieds: un nom propre
4 pieds: référence animale
5 pieds: référence à une personne vivante à l'époque de l'écriture du poème
3 pieds: référence au temps
1 pieds: le son [u]
7 pieds: impératif
6 pieds: rime avec l'après-après vers
6 pieds: matériau
12 pieds: rime avec l'avant-avant vers
8 pieds: néologisme
5 pieds: champ lexical de la peur
5 pieds: répétition d'un ou plusieurs mots
9 pieds: réutilisation d'une des contraintes précédentes, au choix
3 pieds: mot étranger
Nombre de pieds libre
5 pieds: concept abstrait
8 pieds: un nombre
10 pieds: référence à la musique
11 pieds: banalité
10 pieds: insulte
9 pieds: infinitif
8 pieds: quelque chose de poilu
7 pieds: un point d'exclamation
5 pieds: verbe de mouvement
5 pieds: un matériau
30 pieds: pas de verbe d'état
12 pieds: un sentiment
8 pieds: un des quatre éléments
10 pieds: une chose fausse
6 pieds: une chose finie
6 pieds: une saison
4 pieds: une chose sacrée
8 pieds: rime avec le suivant
8 pieds: rime avec le précédent
8 pieds: textile
7 pieds: un adverbe
5 pieds: une maladie
Un saut à la ligne
7 pieds: Commencer par mais ou ou ou et
5 pieds: nom propre
3 pieds: le son [ɛ̃]
5 pieds: le mot maison
6 pieds: quelque chose d'arrondi
6 pieds: quelque chose d'interdit


Et voici l'un des haïkours du recueil:


Mon catamaran
Qui vogue et fait des bonds
M’a trouvé des bordures
Des ordures
Au contact du jardin croqué
De la balade à Singapour
Brève crinière
De PJ Harvey
Heure éteinte
Ouf !
Reviens brillant pacifique !
Fais de mon désir rouge
Un premier pan d’argile
J’ai vu trop d’arcanciels perdus dans trop de bouges
Et des comités d’arcanciels.
Ton effroi d’emprunt:
Guerre aimant la guerre.
Chevauchons des plats, bramons des chants
Un Kahwa
Et du pain tout d’or
Dans ma liberté
Et mes cinq parties de campagne
Battue sur le rythme des trains qui passent
La vie est pleine de surprises et courte
Quand tous les connards avalent les rails.
Etre difficile au petit jour
Devant les chats du gros soleil
C’est connard être, et pour sûr !
Marcher dans l’eau plate
Croitre dans la craie
Manger des aubes et des forêts bleues, avoir des cœurs et puis n’en avoir plus, savoir conduire les bus de silex
C’est amour et tristesse et bonheur en beignets
Un vent vous fait plier le soir
La terre plate vous supporte peu
Le dinosaure appelle
Le retour à l’automne
Et aux icones
Avec la barbarie moderne
On a tué les choses ternes
On a défiguré la soie
Aimer punk et tristement
Donne des angines.

Ou bien les choses sont fausses
Comme un rond d’Euclide
Terre est feinte
Maison de bazar
Où l’on croque des seins
Mais des seins clandestins.

6 août 2011

Bann contre Ban

 

Cet article tient plus de l’anecdote que de la littérature, mais il me semble qu’il montre une nouvelle fois la complexité de la personnalité de Bann, ainsi que sa tenacité.

Nous sommes en 1983, Bann sort tout juste des frasques de l’affaire « Norman Piranha ». Bien décidé à laver son « honneur judiciaire souillé comme la dernière des catins tellement déshonorée qu’elle n’a plus d’honneur judiciaire souillé comme la dernière etc » par n’importe quel moyen, il crée une nouvelle fois la surprise générale en annonçant publiquement son intention de poursuivre en justice….Ray-Ban, fabriquant des légendaires lunettes de soleil. Dans un communiqué relayé par « Le P’tit Arcachonnais », Bann ne mâche pas ses mots et accuse Ray-Ban en personne – on lui expliquera plus tard que Ray-Ban n’est pas une personne physique – d’avoir nommé sa marque en référence à l’un de ses personnages sans lui en avoir payé les moindres droits.

Il fait ainsi référence à l’une de ses nouvelles de jeunesse, « Les aventures de Yar-Nab et Ray-Ban », qui aurait été écrite dans la deuxième moitié des années 40. Bann y met en scène deux personnages, ses « alter-mégots » comme il les qualifie lui-même, qui cherchent la caverne des « Vilains Leprechauns Fondamentalistes » pour voler leur or ; les deux personnages que tout oppose sont néanmoins amis, et ils finissent par mettre la main sur l’or des Leprechauns ; cependant, ces derniers leur jettent un sort pour les punir, condamnant l’un à uriner et déféquer de l’or, tandis que l’autre en vomit et en pleure. D’une qualité littéraire objectivement médiocre, ce texte de jeunesse constitue néanmoins pour Bann une preuve indéniable de son bon droit ; il réclame ainsi plusieurs millions de francs à la société Ray-Ban, qui n’a aucune idée de quoi il s’agit, et fait savoir à l’avocat de Yaruch Bann que le nom de « Ray-Ban » vient de l’anglais et signifie « bannir les rayons [de soleil] ». À cette époque, la société fait un come-back dans la culture pop et la mode internationale, aussi Bann n’entend pas baisser les bras et veut absolument obtenir gain de cause ; il fait ainsi savoir qu’il est prêt à aller jusqu’au procès.

Ray-Ban, soucieux de préserver son image et de ne pas attirer l’attention par un scandale, entreprend des négociations avec Bann afin d’éviter la voie judiciaire. Au terme de longues heures en présence des avocats des deux partis, un accord est trouvé : Yaruch Bann se verra offrir une réduction de 50% sur le fameux modèle « Ray-Ban Wayfarer » dans la couleur de son choix.

Interviewé dans la foulée, Bann exprime son soulagement : « Justice a été rendue, je vais pouvoir reprendre le cours de mon existence. Je revis, je renais, c’est un jour très important pour moi et mes proches. [Puis après avoir sorti et enfilé ses lunettes roses neuves :] Et maintenant j’vais pouvoir me la donner grave. »

5 août 2011

Le Roi Pékin

En 1986, au plus violent de son Procès contre les oiseaux (on retiendra de cette période les fameux Refus du perroquet, Haine légitime et viscérale du rouge-gorge et La Mouette: connasse blanche avec un cri débile, trilogie de romans-pamphlets qu'il inclura plus tard dans son dossier L'ornithologie comme un briefing avant la grande bataille), c'est tout naturellement que Bann se lance dans une virulente attaque de Pierre Corneille.

"Je ne m'attarderai pas sur le nom de l'individu, étendard évident de sa nullité. La corneille, stupide ersatz du corbeau, lui-même cousin dégénéré du chien-papillon dont tout le monde connait le regard torve et la désynchronicité des pattes; la corneille donc, équivalent malingre et aviaire du perdant obèse notoire qui hante nos souvenirs collégiens de moquerie cruelle; la corneille enfin, idiotement répétée dans le patronyme de monsieur le faiseur de Cid, ne gaspillera pas ma hargne.

Pierre Corneille, dont nous venons de démontrer la médiocrité, se fend d'une postérité absurde: l'adjectif dérivé de son nom. Le choix cornélien! Il est injuste qu'un collaborateur aux exactions oiselles salisse notre langue, et pour quels motifs enfin? Pour définir l'un des pires clichés de la littérature: le dilemme déchirant. La belle affaire! Je propose séance tenante de combattre la fadeur facile du choix cornélien; voici mon golem: le choix bannien."

Bann crée alors le personnage du Roi Pékin, figure dramatique sans cesse confrontée à des choix d'une facilité déconcertante. Ainsi dans sa première apparition (Le Roi Pékin se rebiffe, pièce en trois actes, 1986), le Roi Pékin doit choisir entre perdre un bras et coucher avec une trentaine de "jolies gonzesses magiques" qui à l'issue de l'étreinte se transforment en babas au rhum. La critique pantoise boude la pièce.

Un an plus tard, Bann récidive avec Le Roi Pékin n'a pas de pitié, exemple canonique de choix bannien: le Roi Pékin doit choisir entre gagner cent francs et gagner trois cents francs.

"Avec le Roi Pékin, dira Yaruch Bann, le public sait à quoi s'en tenir. Il n'est pas trop bouleversé. Le public, vous savez, c'est une princesse: il faut le caresser dans le sens du poil. Comme les princesses. D'abord on l'apprivoise, puis on met de l'huile dans le moteur; ensuite il faut bien laver la partie recourbée du volet, l'accorder en mi, sauter, vérifier la fraîcheur de l'échalote, scolpiposer le frattoir et extraire le tesson de la tête du chat. Attendez, j'ai dit que c'était quoi, déjà, le public?"

Chaque année et jusqu'à sa disparition, fort d'une méthode variable à l'infini, Bann publie une à trois aventures du Roi Pékin, constituant peu à peu une mythologie abondante, dont voici quelques titres fameux:

-Touche pas au Roi Pékin (1987): le Roi Pékin doit choisir entre une greffe de placenta de cochon à la place de l'oeil droit et l'acquisition d'un boomerang qui parle.

-Le Roi Pékin n'a pas dit son dernier mot (1990): le Roi Pékin doit aider un ami à choisir pile ou face.

-Pas de répit pour le Roi Pékin (1995): le Roi Pékin doit choisir entre prendre un avion pour le paradis et rater son vol pour rester à l'aéroport avec un clochard cannibale à tête de chien qui se masturbera sur sa jambe.

-Roi Pékin, encore vous? (1995): le Roi Pékin est au restaurant et doit choisir entre une entrecôte et la promesse qu'un nain au rire insupportable peut venir à tout moment pour scier deux pieds de sa chaise et uriner dans son chapeau en draguant sa femme.

-On n'arrête pas le Roi Pékin (1996): le Roi Pékin doit choisir entre une promenade sur le vélo qui fait jouir et une promenade sur le vélo qui fait vomir des rideaux.

-Les Indiscrétions du Roi Pékin (1998): le Roi Pékin doit choisir entre devoir mâcher des chats pour séduire et obtenir le calendrier des bisous inattendus.

-Qu'allons-nous faire du Roi Pékin? (2000): le Roi Pékin doit choisir entre le bonheur éternel et une tringle à rideaux mal fixée.

-Le Roi Pékin passe au minitel (2001): le Roi Pékin doit choisir entre le contraire d'une bonne tarte aux fraises et une fellation infinie.

-Le Roi Pékin contre les Amants du Danube (2001): le Roi Pékin doit choisir entre un cancer des mains et un cancer des mains de son pire ennemi.

-Le Roi Pékin est surpayé (2006, le dernier avant sa disparition): le Roi Pékin doit choisir entre épouser une femme constituée de chaînes de vélos boueuses qui l'ébouriffe pendant l'amour et connaître l'adresse d'un "apéro sans fin". Détail: pour se rendre à cette adresse le Roi Pékin abandonne tous ses amis et disparaît sans explication.

 

Je recopierai dès que possible des scènes des aventures du Roi Pékin ainsi que des extraits de Refus du perroquet dont j'ai fait l'acquisition récemment.

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